HISTOIRE DE NELLY (Unité Alzheimer)

(en gras les principes Montessori mis en place)

Je m’appelle madame B. et j’ai 86 ans. Depuis que l’on m’a placé dans cette institution en m’éloignant et de mon chez moi sous le prétexte que je ne peux plus rester seule, je ne me sens pas à ma place. Les autres m’insupportent. Surtout ils ne sont pas du tout du même monde que moi. Je regrette ma vie bourgeoise de parisienne et je dois subir les débordements de ces gens que je méprise un peu, tant il me semble inférieur à tout point de vue. De toute façon ici c’est une maison de fou (CANTOU). Je ne me prive d’ailleurs pas de le faire savoir aux intéressés ! J’ai bien compris que j’agace un peu les « jeunes filles en blanc », mais Dieu qu’elles sont lentes, maladroites et pour tout dire incompétentes à me servir. En plus elles sont sans arrêt sur mon dos : « Faites-ceci ! Ne faites-pas cela ! » Elles m’agacent et je sens bien que l’on me considère comme une mégère couplé d’un dragon, mais je m’en fiche, après tout je paye pour être servie non ?!

Récemment je me suis fracturée la hanche en chutant au sol. Comme je ne pouvais plus marcher, je me suis très vite habituée à mon fauteuil roulant très pratique pour me faire servir et très confortable. Mais dès mon retour de l’hôpital on m’a confié au kinésithérapeute qui a voulu me faire marcher immédiatement. Celui-là je le retiens, quel sadique. Je ne lui ai fait aucun cadeau. Malgré mes exigences de me laisser tranquille dans mon fauteuil, chacun à son niveau s’y est mis pour me contrarier et me faire marcher. Je vous assure qu’ils m’ont payé ça très cher, en remarques aigres-douces et en insultes aussi. Je n’ai pas manqué de souligner la méchanceté et l’incompétence de chacun. J’en ai profité pour éclabousser de ma colère mes compagnons d’unité de soin, que j’ai méprisé encore plus.

Un jour, et ce fut le bouquet, on m’a retiré mon fauteuil roulant sous prétexte qu’un autre résident en avait plus besoin que moi et que je pouvais m’en passer (ce kiné quel toupet de me forcer à utiliser ce « truc de vieux » (le déambulateur)!). Du coup vu la distance à accomplir à pied je n’ai plus voulu aller dans la salle à manger commune de l’établissement avec une de mes connaissances, comme je le faisais jusqu’à présent. J’ai préféré rester dans mon unité.

Presqu’en même temps une jeune dame m’a demandé si je savais coudre (proposition d’activités ayant du sens). Quelle gourde ! bien-sur que je sais coudre. Elle m’a demandé si je voulais bien l’aider un peu à faire un ouvrage (donner le choix). Je m’y suis mise en haussant les épaules, après tout qu’avait-je de mieux à faire ? Et je lui ai fait toutes ces coutures des nappes pour les tables de notre unité de vie (savoir-faire). Nous avons bien ri ensemble (plaisir). En fait elle était très gentille et sympathique cette petite (conditionnement positif). Elle m’a beaucoup complimenté et comme elle m’avait laissé de l’ouvrage à disposition j’ai voulu continuer seule (implication & engagement). Ce jour-là c’est la veilleuse de nuit qui m’a suggéré d’aller me coucher.

Cette charmante jeune fille, bien qu’en blanc, est revenue vers moi. Ma félicité pour mon aide et m’a demandé si je souhaitais refaire de la couture à l’occasion (bouclage) je n’avais pas raison de refuser. Elle m’a aussi demandé si je voulais participer à une autre activité en pleine air ce jour-là, ce que j’ai accepté sans conviction, pour lui faire plaisir (conditionnement positif). J’ai de nouveau passé une belle après-midi. J’ai découvert certains de mes voisins (resocialisation). Certes ils sont parfois limités intellectuellement, mais après tout ils méritent bien un peu de ma considération.

Maintenant je reste continuellement dans mon unité, j’ai appris à tolérer les autres, même celle-là qui chaque jour me prend systématiquement mon verre à table : plutôt que les insultes, je me suis surprise à lui dire « à quoi bon… de toute façon, vous me le piquez tous les jours ! ».

Je guette les rassemblements et dès qu’une activité se met en place je m’invite à celle-ci me régalant de participer et d’échanger.

Les petites en blancs passent leur temps à m’encourager et à me féliciter. Hier, une d’entre elle s’est réjouie avec moi de ce que j’avais entamé et fait ma toilette toute seule (autonomie). Ah oui, maintenant on me prénomme « Nelly » !

Nelly (Mme B.) marche parfaitement sans son fauteuil qu’elle a finalement oublié. Elle a retrouvé une autonomie et une indépendance qui lui permettent de s’inviter dans les différents groupes d’activités sans avoir à demander de l’aide. Parce que désormais elle apprécie les activités (fuite de l’ennui !). Elle sort plus de sa chambre pour se mélanger aux autres et il lui arrive de donner un coup de main aux personnels dans les tâches du quotidien. Alors qu’elle souffrait d’une carence d’hygiène importante (anosognosie et opposante aux aides) les mauvaises odeurs ont disparues de sa chambre et elle reprend soin d’elle, mieux, elle le fait seule (dignité & autonomie) ! On n’entend plus parler de Paris et de ses regrets, nous pensons que c’est normal car c’est ici chez elle maintenant !